Islam de France : une communauté indéfinie et mal représentée

La communauté musulmane de France est-elle une entité crédible ? Depuis les attaques terroriste islamistes perpétrée à Paris ou à Nice, nombreux sont les politiques, analystes, personnes publiques influentes qui intègrent dans leur discours la terminologie généraliste de « communauté musulmane de France». Avant de pouvoir avancer des pistes de réflexion sur le rôle que pourrait jouer la communauté musulmane française dans la lutte contre le djihadisme, il serait opportun de procéder à la définition de cette communauté et de ses particularismes. Ce vocable est-il pertinent ? Quelles sont les réalités existantes sur le terrain et les caractéristiques particulières qui détermineraient son existence au sein de la société française ?

Quelles sont les caractéristiques qui permettent de définir une communauté, religieuse de surcroit, dans un pays tel que la France, profondément et historiquement attaché au principe de laïcité, en référence à la loi sur la laïcité du 9 décembre 1905. La loi stipule en l’occurrence, que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » … « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte». Par définition, la France écarte toute institutionnalisation politique du fait religieux et le place par principe dans la sphère privée.

Par ailleurs, afin qu’une « communauté religieuse » puisse se définir en tant que telle, elle doit pouvoir se doter de moyens d’organisation du culte et d’institutions représentatives qui seraient l’interlocuteur privilégié de l’État, dans un contexte où n’existent pas de cultes reconnus au sens juridique.  Cette démarche historiquement acquise pour l’Eglise catholique en France, première religion de France, pour la communauté juive représentée par le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France demeure inachevée pour le culte musulman malgré les tentatives de création de l’instance du Conseil Français du Culte Musulman en avril 2003.

Hétérogénéité des profils et pratiques religieuses diverses

L’absence de statistiques françaises sur le nombre de musulmans en France s’explique d’une part, par l’interdiction juridique de distinguer les citoyens français et les résidents étrangers en fonction de leur croyance ou de leur appartenance ethnique et d’autre part, en raison des difficultés méthodologiques pour réaliser ce type d’enquête sociologique compte tenu des critères multiples qui préfigurent l’appartenance à la « communauté musulmane ».

Si l’on observe la diversité des origines d’immigration en France, particulièrement celle issues de pays à tradition musulmane, notamment maghrébine ou africaine, on remarquera l’existence d’autant de diversité de pratiques religieuses, communautaires, de croyances populaires, de syncrétisme que d’origines migratoires. Une tendance majoritairement sunnite est néanmoins prédominante. La pratique religieuse s’inscrit généralement dans une trajectoire individuelle en pleine évolution où se greffent de nombreux facteurs d’influence culturelle, identitaire, sociologique. C’est notamment dans l’hétérogénéité des profils et des pratiques issues d’origines diverses et parfois de non pratique pour les individus « à culture musulmane » que réside la difficulté d’identification à un groupe. Le seul référent commun est l’islam et contrairement aux perceptions générales ils se présentent sous multiples formes sociales et cultuelles.

En effet, le qualificatif « de musulmans de France » ne peut se baser sur la pratique religieuse ni sur la foi individuelle mais plutôt sur l’attachement de l’individu à une culture et une histoire musulmane faisant partie de sa construction identitaire. Longtemps, la pratique musulmane est demeurée de l’ordre du privé surtout en ce qui concerne les premières vagues d’immigrés du Maghreb. Ce n’est qu’à la fin des années 70 que l’on a vu apparaitre des revendications en termes de création de lieux de cultes permanents pour une pratique décente de la religion et de carrés musulmans. Ces revendications sont l’expression d’une  volonté de partage du culte dans des lieux de socialisation où le lien communautaire prend forme et l’acceptation d’une installation durable dans le pays d’accueil s’affirme.

La sociologue, Jocelyne Césari insiste sur le rôle de la mosquée ou la salle de prière à l’échelle du quartier en tant que ciment de liens communautaires et de sociabilité. La religion musulmane devient, pour certains, un mode d’affirmation de soi et de résistance au monde extérieur. Elle constitue une identification sociale et fonctionne comme une nationalité de substitution ou de compensation, principalement pour la première génération.

On assiste dans ce contexte aux prémices de l’organisation d’un islam de France en manque de financement et d’appui institutionnel qui fait l’objet de convoitises étrangères, financières ou diplomatiques.

Les instances de la communauté musulmane de France en manque de représentativité

C’est en avril 2003 que le Conseil du Culte musulman a été institutionnalisé en tant qu’instance représentative de l’islam de France au terme d’une dizaine d’années de réflexion, de tergiversations en raison des divergences entre les associations cultuelles. Cette instance est constituée en association régie par la loi de 1901 et prend en charge les questions liées à l’organisation et à la gestion du culte.

L’islam pratiqué en France est majoritairement d’obédience sunnite et ne dispose pas d’ordre religieux contrairement au chiisme structurellement hiérarchisé doté d’une autorité décisionnaire. Ce particularisme structurel participe à la difficulté intrinsèque au sein de la communauté musulmane de France de désigner une instance représentative. L’impulsion étatique initiée par Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur, pour encourager, parfois de manière autoritaire, la création de cette instance impliquant les différentes organisations associatives et favorisant les trois grandes fédérations existante : la mosquée de Paris, la FNMF (Fédération des musulmans de France) soutenue par le Maroc et l’UOIF (l’Union des Organisations Islamiques de France) a également inclus  les ambassades marocaines et algériennes dans le processus de désignation des candidats et d’élection.

Les 6 et 13 avril 2003 les élections des 200 membres de l’assemblée générale et des 41 membres du Conseil d’Administration du CFCM par 4032 grands électeurs désignés par environ 900 lieux de culte ont enfin eu lieu. C’est l’UOIF, organisation proche des frères musulmans, qui est sortie gagnante de ce scrutin, mettant en exergue la faiblesse de la mosquée de Paris.

Les circonstances de la constitution et de l’élection de cette instance pour le moins forcée ne traduisent pas l’émanation d’une quelconque volonté démocratique de la communauté musulmane. Elle jouit donc de peu de légitimité au sein de la population qu’elle est censée représenter. Elle perd par conséquent en termes de crédibilité et de poids dans ses prises de position.

Comment « une communauté religieuse », notamment musulmane constituée de profils hétérogènes dont les sources d’influences sont différentes, pénétrée par ailleurs par des mouvements de pensées extérieurs émanant du conservatisme prédominant dans le monde arabe et enfin dotée d’instances en manque de légitimité, peut-elle agir au sein de la société française?

Pour ce faire, les élites d’appartenance musulmane, celles qui auraient pour vocation de participer à la constitution d’institutions musulmanes de France devraient se manifester et agir collectivement pour une redéfinition des fondements des instances en dépit de leurs diversités. Elles sont amenées à poser des principes de base qui régissent le culte musulman conformément aux principes de laïcité de la République et à définir la place que veut occuper la communauté de culture musulmane au sein de la société française dans l’expression de sa modernité et de sa créativité intellectuelle.

Cette refonte structurelle engagée permettra à « la communauté musulmane de France » d’agir contre le djihadisme en pleine conscience de ses priorités.

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